• Dis-moi comment tu manges...

    EVELYNE JARDIN

    Une étude comparative, portant sur les habitudes alimentaires des Américains, des Français, des Anglais, des Allemands, des Suisses, des Italiens... permet de mieux cerner les différentes façons d'aborder les plaisirs de la table.

    Révoltes frumentaires, disettes, famines... ces événements appartiennent à un passé plus ou moins lointain pour bon nombre de pays développés. En effet, la majeure partie de leur population a le ventre plein, même si des poches de malnutrition continuent d'exister. Mais ces individus rassasiés sont-ils pour autant satisfaits par leur alimentation ? Les professionnels de la santé nous mettent en garde : les maladies cardio-vasculaires, les cancers, le diabète, l'obésité nous guettent. Pour les éviter, il faut « manger des pommes », « manger équilibré » : trois repas par jour, composés de fruits et de légumes, avec des produits laitiers et sans trop de matières grasses... «Mangez sainement et vous resterez en bonne santé», rappellent régulièrement les pouvoirs publics dans des campagnes d'information. Bref, voilà les consommateurs responsables de leur espérance de vie, ce qui, conséquemment, peut notablement influer sur leur degré d'anxiété par rapport à leur « coup de fourchette ». Parallèlement aux progrès de la médecine et de la nutrition, le sentiment de culpabilité ne s'accroît-il pas lors de l'ingestion de sucre, de beurre, de crème fraîche, de fritures, de viande rouge ?

    De plus, si les avancées en matière d'hygiène et de sécurité ont été considérables durant tout le xxe siècle (pasteurisation, stérilisation, mise sous vide...), des crises alimentaires (vache folle, légionellose, salmonellose) ont rappelé que le risque zéro n'existe pas. La santé, la sécurité seraient-elles devenues la principale motivation des mangeurs ? Ou, pour le formuler autrement, manger serait-il devenu une activité rationnelle et instrumentalisée ?

    Sous l'égide d'un observatoire, l'Ocha (site Internet : http://www. lemangeur-ocha.com), une étude comparative a été menée dans six pays pour mieux cerner les attitudes alimentaires des Américains, des Allemands, des Anglais, des Français, des Italiens et des Suisses. Dans tous ces pays, les consommateurs se déclarent inquiets, certains beaucoup plus que d'autres. Les Américains questionnés sont les plus angoissés par rapport à leur alimentation. Face à cinq profils de mangeurs que leur proposaient les chercheurs, lors d'entretiens téléphoniques, ils se sont majoritairement reconnus dans le « mangeur tourmenté » : « Celui qui souhaite contrôler son appétit, ses envies et son poids, qui envisage de changer ses habitudes alimentaires et de faire plus de sport, et qui se juge faible de ne pas y parvenir. »

    Pourquoi tant d'inquiétudes chez les Américains ? Selon le sociologue Claude Fischler, le rapport à l'alimentation de ces derniers les responsabilise énormément. D'abord, ils veulent en avoir plein la vue, plein l'assiette : « Entre deux glaciers dont l'un offrirait cinquante parfums différents et l'autre une sélection de dix, 56 % des Américains préfèrent le premier, alors que tous les Européens font le choix inverse », explique le sociologue. Du côté positif, cette abondance est, pour eux, un signe de liberté de choix. Il est capital, pour un Américain, surenchérit la jeune sociologue franco-américaine Christy Shields, de pouvoir se dire que l'on trouve de tout, du bio au chimique, du produit local au produit industriel. Et, dans cette logique, les cuisines « ethniques » (chinoise, mexicaine, japonaise, etc.) sont fort appréciées, car elles répondent à ce besoin viscéral de variété. Or, la variété, dans la symbolique américaine, selon l'interprétation de C. Shields, renvoie à la liberté, valeur phare aux Etats-Unis.

    Mais, du côté négatif, cette avalanche de biens et de nourriture entre en contradiction avec les préoccupations sanitaires des Américains. De l'abondance, on bascule facilement à la suralimentation : trop de graisse, trop de sucre, trop de maladies cardio-vasculaires, de diabète, etc. Les Américains géreraient cette contradiction par l'absorption de produits « sans » (diet, light) et par l'adjonction de vitamines. Ces ajouts n'apparaissent d'ailleurs pas nuire à la « naturalité » des produits, note le psychologue américain Paul Rozen. Ce qui n'est pas le cas de la plupart des consommateurs européens. Enfin, l'angoisse des Américains est aussi générée par la variété en elle-même, car elle oblige à se tenir continuellement informé du meilleur produit. Il faut lire des magazines de consommateurs, effectuer des recherches sur Internet, etc. « Aux Etats-Unis, c'est "nous" en tant que peuple qui avons le choix et la liberté des choix, mais c'est à "moi" en tant qu'individu qu'il revient de faire le bon choix. Et cette responsabilité est un poids lourd à porter », poursuit C. Fischler. Il n'empêche, cela vaut toujours mieux que de vivre dans un endroit où la pénurie et le manque d'hygiène semblent patents, comme l'Afrique ou la Russie, deux zones géographiques citées par les Américains interviewés comme des repoussoirs vis-à-vis de leur alimentation.

    Manger n'est pas bouffer

    Par rapport à leurs homologues américains, les consommateurs français ne se retrouvent pas dans le profil du mangeur tourmenté. Plus des deux tiers des Français interviewés se reconnaissent dans le mangeur « convivial », c'est-à-dire « celui qui est content de se mettre à table pour partager le repas de midi avec ses collègues et celui du soir avec sa famille et ses amis, et qui déteste sauter un repas et être obligé de manger vite ». Choisir de bons produits, cuisiner, s'attabler..., c'est capital pour la grande majorité des Français. On pourrait même parler d'eucharistie, pour C. Fischler, tant « les dimensions de don, de partage, et même de communion autour de la table, sont les piliers du repas français ». Aussi, mieux vaut-il éviter de signaler ses goûts (régime végétarien, aliment que l'on n'aime pas) lorsque l'on est invité en France, car cette distinction pourrait être symboliquement interprétée comme un sacrilège, le repas étant un moment de communion et non de différenciation. Donc, le partage est une valeur forte dans la symbolique alimentaire des Français. La variété aussi, mais elle se décline différemment de sa conception américaine. Elle est reliée à l'extrême diversité des produits régionaux. « La région, explique C. Shields, invoquée comme un mot magique, semble souvent représenter une espèce de "pays de cocagne" contemporain. Elle est un espace qui réunit en son sein la gastronomie, les traditions, la qualité et la variété des produits et de l'alimentation, ainsi que des systèmes de production et de distribution jugés favorables. En ce sens, elle peut être considérée comme la réponse française dominante aux inquiétudes et aux craintes liées à la modernité alimentaire. »

    Alors, si les Français sont inquiets, c'est surtout la « McDonaldisation » qui les fait frémir. Ils ont la dent dure contre les fast-food : leur cuisine est assemblée et pas mijotée, les produits sont insipides et uniformisés, les conditions d'ingestion - sur le pouce, parfois debout en faisant autre chose... - ne correspondent pas à leur idéal du repas convivial. Bref, on y « bouffe » plus qu'on y « mange ». Selon C. Shields, cet antimodèle permet aux Français « de prendre une distance analytique et critique vis-à-vis des processus liés à la modernisation ». Repliés sur leur région d'habitation ou d'origine comme sur un espace vierge et préservé des agressions extérieures, une sorte de camp retranché (que les amateurs de BD connaissent bien !), les Français se protégeraient d'une menace venant, bien évidemment, de l'extérieur. Car, selon C. Shields, les Français « se sentent vulnérables en tant que "peuple" face à la modernité alimentaire (incarnée par les Etats-Unis) ». De fait, ils sont plus collectivement qu'individuellement responsables, d'où une moindre angoisse vis-à-vis de la façon de se nourrir.

    L'enquête laisse apparaître des différences importantes entre les mangeurs américains et français, différences que l'on a tôt fait de relier à la culture. Mais le caractère explicatif de ces « cultures nationales » peut être surdéterminé dans ce type de recherche transculturelle, note, prudent, le directeur de l'enquête C. Fischler. Aussi faudrait-il affiner les résultats pour savoir si ces caractéristiques propres ne sont pas imputables à certains groupes, catégories ou classes à l'intérieur d'une même société. Il reste encore du pain sur la planche !


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  • L'économie mondialisée doit détruire la planète

    Ce qui se passe ces jours sur les marchés nous confirme clairement une chose : pour survivre, l'économie mondialisée doit absolument détruire la planète. Et plus elle le fait vite, mieux elle tourne.


    Que constate-t-on depuis lundi? La crainte d'une récession américaine a fait flancher les marchés. Pourquoi? Car si le consommateur américain réduit un tant soit peu sa consommation, l'économie mondiale ralentit et s'écroule. Mais ce que l'on a tendance à oublier c'est que les américains ne consomment pas, ils surconsomment.


    Grâce à la notion d'empreinte écologique, on sait qu'il faudrait l'équivalent de 6 planètes Terre si nous consommions tous comme des américains. Cette estimation vaut ce qu'elle vaut, mais elle a le mérite d'être claire. Le hic, c'est que la moindre crainte de fléchissement de cette boulimie frénétique entraîne l'économie mondiale dans une chute.


    Le monde entier est donc suspendu à cette surconsommation absurde d'une population de millions d'individus qui conduit des voitures stupidement énormes et qui compte la plus grosse proportion d'obèses au monde.


    Lorsque la Réserve Fédérale Américaine (FED) baisse les taux d'intérêt pour relancer le crédit, comme elle l'a fait hier, elle le fait dans le seul but de ne surtout pas freiner la surconsommation. Comme lorsque George W. Bush, au lendemain du 11 septembre a exhorté ses concitoyens, non pas à se recueillir, à prier ou à réfléchir, mais bien à "consommer", à faire du "shopping".


    Car si les américains se mettaient soudainement à consommer normalement, s'ils utilisaient des transports en commun (ou même des petites voitures), s'ils mangeaient moins de viande, et achetaient moins de gadgets technologiques, l'économie mondiale s'affaisserait dans un krach monumental entraînant précarité et pauvreté dans le monde entier. À moins que la Chine, premier pollueur mondial, ne prenne le relais...


    Je ne souhaite pas la récession par sadomasochisme, mais j'espère sincèrement que la crise financière sera suffisamment forte et durable pour nous forcer à questionner un système qui se nourrit de la destruction du monde, et qui, ce faisant, scie la branche sur laquelle nous sommes tous assis.


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  • Mon cartable

    Mon cartable a mille odeurs.


    Mon cartable sent la pomme,


    Le livre, l'encre, la gomme,


    Et les crayons de couleurs.


    Mon cartable sent l'orange,


    Le buisson et le nougat.


    Il sent tout ce que l'on mange


    Et ce qu'on ne mange pas.


    La figue et la mandarine,


    Le papier d'argent ou d'or,


    Et la coquille marine,


    Les bateaux sortant du port. (...)


    Les longs cheveux de ma mère


    Et les joues de mon papa,


    Les matins dans la lumière,


    La rose et le chocolat.

    Pierre Gamarra


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  • La rentrée

    La rentrée

    Un oiseau chantonne

    Un air de Mozart

    Que le vent d'automne

    Emporte au hasard.

    Bernard et Nicole,

    La main dans la main,

    Ont pris de l'école

    Le joli chemin.

    On voit sous les pommes

    Crouler les pommiers.

    Les crayons, les gommes

    Sortent des plumiers.

    Le ciel est morose :

    Il verse des pleurs...

    Mais Rosa-la-rose

    Est toujours en fleurs.

    Jean-Luc Moreau


     


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